vendredi 31 décembre 2010

LE THÉÂTRE DES ILLUSIONS

Le théâtre des illusions

Préambule

Je suis toujours frappé par certains comportements qui se veulent en apparence fraternels, chastes ou délicats et qui, souvent, recouvrent un ego démesuré... On peut même voir s'exercer, parfois, des discours bien-pensants et nourris de religiosité qui n'ont d'autre but que de rallier des suffrages et gagner un lectorat ou un auditoire à sa propre popularité. Ce faisant, on a toujours quelque raison de se comporter ainsi et je ne juge jamais personne. Je fais toujours la part des choses : je distingue bien l'acte de l'acteur... et l'acteur, de l'auteur... qui se trouvent souvent être la même personne lorsque, dans la vraie vie, cette personne se met elle-même en « scène ou en pages ». Les raisons sont à rechercher profondément et sont (de différentes natures...) morales, psychologiques ou voire existentielles quand elles ne sont pas, à l'extrême, l'expression d'un tourment métaphysique ou spirituel. Le but est la plupart du temps de se tailler une place bien assise au sein des groupes et, plus largement, de la société humaine.


« Le théâtre des illusions », il faut bien sûr le lire entre les lignes, pas forcément d'une seule traite, pour que ni sa teneur ni sa longueur ne le desservent...






Le théâtre des illusions
                       
            A Jean-Baptiste Poquelin, dit « Molière »...

Pour épater les galeries,
Comme un cador grandiloquent,
Sur la grand-scène de la vie
On tente un numéro gagnant...

Au fil de ses pantalonnades,
On est bravache, impétueux
Ou prodigue de rigolades,
Selon l’humeur ou bien l’enjeu...

On se farde de facéties,
En jacassant tout à l’envi,
De hâbleur en forfanterie,
On est braillard, on est hardi...

On arbore un « portrait-gigogne »
Et l’on ressemble aux arlequins
Qui se dispersent sans vergogne,
En s’épanchant sur leurs « prochains ».

On adopte des camouflages
Bien prisés par des « loups-voyeurs »
Et, sous de matois maquillages,
On se croit noble ou séducteur.

Fanfaron à l’âme fantasque,
On change de tête à gogo
Mais, prisonnier du jeu de masques,
On crée ses effets en solo...

Guignolerie ou gaillardise...
Espièglerie, alacrité,
Paillardise ou grivoiserie,
Tout est prétexte à palabrer !

On est jovial et même hilare...
On est taquin, on est badin
Et puis, soudain, sans crier gare,
On devient grave ou inquiétant :

On sait sauter du coq à l’âne
Et varier les intonations
Pour faire vrai, pour faire crâne
Et secouer les opinions...

Ostensiblement, on affecte
Une expression de componction
Et nul cependant ne suspecte
L’entourloupe ou la dérision... 

Tel un sacripant sacrilège,
Sorti de sa « boîte à pendards »,
On s’étourdit dans ce manège,
Entre fêtard et goguenard.

Et l’on poursuit ses pirouettes,
Sous les bis et sous les bravos
Qui plébiscitent’... une vedette
Et son fameux méli-mélo...

Apostrophant son auditoire,
Pour séduire et pour subjuguer,
Depuis les quelques promontoires,
Que ses faveurs ont édifiés...

Par l’esbroufe et la duperie,
On veut forcer l’admiration
Et l’on étouffe d’ironie
Tous les propos d’opposition.

C’est une piètre comédie ;
Un détestable traquenard
Qui masque son hypocrisie
De traits aguicheurs ou vantards.

C’est de l’humour à la sauvette
Ou bien du rire à bon marché
Qui voudrait nous conter fleurette
Dans un cynisme déguisé...

Cortège d’intrigues sous cape...
Ce qu’on raconte et dont on rit
Tient, sous un débit qui décape,
Une assemblée à sa merci...

Et chacun subit la réplique
De mots mêlés de boniments ;
Le triomphe des cosmétiques,
S’il ne s’y soustrait pas à temps !

Racontars qu’on monte en épingle
Et tintamarre et baragouins...
Ça fuse, ça saute et ça cingle
Aux oreilles de ses voisins.

On joue les Pierrots un peu louches ;
Les émules de Cyrano
Et les boutades qui font mouche
Agrémentent le scénario... 

Mais qui sait que la mascarade,
Dont on se veut roi ou bouffon,
Peut éclater en algarades
Dès que retombe l’illusion ?

Sait-on qu’en cachant, sous le masque,
D’autres masques’... et des pieds-de-nez
On n’est pas sauvé de ses frasques,
Ni de perdre une identité ?

Sous un semblant de mignardise,
On peut être ardu ou bourru
Et se commettre sans franchise,
A la façon d’un m’as-tu-vu !

Grisé de clameurs ou d’éloges,
On prend des brassées de public
Et l’on s’enroule dans des toges
Tressées des lauriers les plus chics...

On affiche sa pétulance
Et revêt les plus beaux atours ;
On fulmine d’exubérance,
Avec hauteur et sans détour...

Ça se gausse et ça glousse,
Ça glapit et ça rit...
On se tasse, on se pousse...
Pour placer son récit...

Fantoche, acerbe ou délétère,
Pour cancaner et pasticher,
On vocifère, on déblatère
Pour convaincre ou pour enjôler...

Ici sagace et là, salace...
Narquois, pour mieux désarçonner...
Ici ça passe et là, ça casse :
On se régale d’agacer !

S’il faut mêler de polémique
Ses critiques’... au ton disgracieux,
On défraie assez la chronique...
Pour captiver plus d’un curieux :

Insolent ou, voire, insolite,
On sait provoquer l’incident ;
Un tohu-bohu sans limite,
Dont on nourrit le mouvement.

Au diable qu’on soit rustre ou cuistre
Et tant que ça ne se voit pas,
On exagère son registre
Cahin-caha, couci-couça...

Qu’on soit prolixe ou qu’on pérore,
On a le verbe beau ou fort
Et, qu’importe, on s’emporte encore
Lorsque se taire’... paraît un tort !

On se voudrait leste ou burlesque,
A force d’œillades’... et d’esprit ;
On ne craint pas d’être grotesque,
Si le triomphe est à ce prix :

On est imbu de ses prouesses,
Hurluberlu ou malappris ;
On rend la monnaie de sa pièce
A qui n’y aurait pas souscrit !

Qu’on soit veule ou pusillanime,
On se travestit en héros
Devant un parterre unanime
Et l’imposture est sans écho :

Tel un dramaturge en goguette,
On se concocte un rôle à soi...
On est le « roi-de-l’opérette »,
Usant du charme de sa voix...

On n’a pas peur des simagrées
Ni d’un spectacle saugrenu
Que l’on offre à des bouches bées,
Yeux ébaubis, crânes férus...

On se tient le cœur à la farce
Et la recette est un succès...
Il suffit de phrases bien grasses
Et, pour dindons, de bons sujets...

Ce n’est pas de la gourmandise !
On est friand de compliments,
Face à quelques tablées conquises
Par des ragots peu ragoûtants :

Qui se repaît de balivernes
Et de sornettes, tant et plus,
A pourtant l’âme bien en berne
De quelques rêves révolus !

On se rassasie’... d’anecdotes
Et fait un festin de bons mots
Dans une foire à la parlote ;
Repas sans répit ni repos...

C’est avec des effets de manche
Que, souvent, l’on fait sensation,
Provoquant nombre d’avalanches
Pour accaparer l’attention...

Et, pour preuve de truculence,
On ne tarit pas d’adjectifs
Mais la source des redondances
Crée des fleuves rébarbatifs...

On voudrait briller comme un phare...
Eloquence ou érudition ?
Faire passer pour des ignares...
Les gens sans illumination !

Pour limite et pour seule bride,
Quelle autre peur a-t-on vraiment :
Paraître vide ou insipide,
Indifférent ou transparent ?

Mais l’on s’arroge la parole
Que l’on encombre sans remords
De broutilles’... et de fariboles,
Pourvu que l’on parle d’abord.

Et, campé comme un Scaramouche,
On peut grimper sur son ego
Pour attirer dans l’escarmouche
Une cour qui vous tient bien haut...

On roucoule et l’on prend ses aises,
Pendant qu’augmente la pression
Sur les témoins de ses fadaises
Qu’on pourrait changer en pigeons...

On snobe, on harangue et l’on toise,
Présomptueux ou somptueux
Et, dans l’arène où l’on pavoise,
On prend son cas très au sérieux...

Qu’on se pavane ou qu’on parade
Et, quel que soit l’accoutrement,
Champion de ses rodomontades,
On est cabot et cependant,

On sait qu’on fait vibrer les planches
Et la liesse des spectateurs
Par les rires que l’on déclenche
Et les regards approbateurs...

Trublion, maître de la scène,
Ce qu’on veut c’est faire impression,
Que l’on soit tragique ou obscène,
Au théâtre des illusions.

Qu’importe l’endroit où l’on dresse
Le buste ou qu’on pose le pied,
On est le pilier de la pièce...
Et, pour rôle, on veut le premier !

Par l’intrigue et par l’artifice,
On s’exhibe sur ces tréteaux,
Dans l’euphorie’... souvent factice
D’une profusion de bons mots...

On est disert et l’on devise
A propos des couleurs du temps ;
On glose et, telle est sa devise :
Parler de tout et tout le temps...

On colporte quelques mensonges,
D’invraisemblables canulars ;
On affabule tant qu’on songe
Qu’on et crédible quelque part...

On envoûte ou on embobine
Et, quand le film a bien tourné,
On se cale et on rembobine
Jusqu’au prochain jour de ciné.

Dans les rôles de bienveillance,
Politesse ou urbanité,
On se targue de bienséance
Pour conquérir et pour flatter :

S’il le faut, parfois, on flagorne,
On « brosse dans le sens du poil » ;
On en est obséquieux, sans borne,
Faisant l’ange où est l’animal...

Et pourtant, quand les feux s’estompent,
Quand le spectacle est terminé,
On brocarde autant que l’on trompe
Ceux que l’on avait encensés...

Par l’apparat et l’apparence,
On se répand ou se dissout,
Selon l’heure ou la convenance,
Afin que l’on plaise avant tout...

Et qu’on se drape de superbe
Avec aplomb et dignité,
Ou d’un voile prude ou acerbe,
Ce n’est qu’un rideau pour gonfler.

Affublé d’une aube sans tâche,
On joue même aux Saints-Innocents ;
On a la boutade potache,
Simulant, pour paraître franc...

Puis, soudain, on force les rôles :
Un peu godiche, un rien gouailleur...
Déluré, si ça fait plus drôle...
Et grand seigneur, pour les honneurs...

On ose la magnificence,
En montant sur ses grands chevaux.
Pour atteindre jusqu’à l’outrance,
On se produit au grand galop...

On ne craint ni la turpitude
Ni les sarcasmes déplacés,
Pourvu qu’avec de l’altitude,
On gagne assez d’autorité :

Si l’on profère une invective,
C’est qu’on voudrait effaroucher
Ceux qui restent sur le qui-vive
Ou qu’on n’aurait pas fascinés...

Et, boute-en-train, on s’égosille ;
On prend des airs bien guillerets,
De gai-luron, de joyeux drille,
Qui sont moins vrais qu’il n’y paraît :

On chicane avec des arcanes,
D’argutie... en faux argument ;
On « alambique » ou on ricane
Devant la suspicion des gens ;

On s’empêtre au fil de ses phrases
Et d’un charabia bien à soi
Que l’on dévide avec emphase
En un parfait galimatias...

Supercherie, métamorphose ?
On « adultère », on travestit :
La vérité semble morose
Au regard de qui la trahit !

On se taille un joli charisme
Pour défiler et minauder...
Farfelu mais sans fanatisme :
Juste assez, pour intéresser...

Et l’on se coupe de soi-même,
En croyant faire des envieux
Pris au piège d’un stratagème
Où l’on se grime à qui mieux-mieux.

Mais qui veut croire au subterfuge,
A moins qu’il ne s’y prête un peu,
Puisque ne sert à qui le gruge
Que celui qui en fait le jeu ?

On redoute les calomnies
Alors on en prend les devants
En se parant de parodies
Pour singer le moindre passant :

A l’assaut des feux de la rampe
On embraserait le parquet
De la scène où l’on veut que rampent
Les victimes de son toupet...

Et l’on fomente un beau grabuge
Pour provoquer les invités ;
On invente comme un déluge
Pour pallier aux contrariétés.

On étale, on étonne...
Pour la forme et sans frein...
On détaille, on détonne :
Dans le fond, ça fait fin !

Les revers de diatribe amère
Qu’on distribue’... sans sourciller,
Sont des piques qui exaspèrent
Dans le dialogue exacerbé...

Pour obtenir des préséances
Et la suprématie aussi,
On évince la concurrence
Par jalousie ou par défi...

Et, de galère en galéjade,
Au fil des élucubrations,
On assène ses estocades
De reproche ou de dérision :

Sur le quidam on se « défausse »
Sans âme, sans amour, cent fois,
Comme un faussaire et dans la fosse
D’un théâtre sans loi, ni foi...

Et, quelque bougre qu’on échaude,
En faisant fi de son dépit,
Il est prétexte... à gorges chaudes
A son grand dam, s’il en frémit...

Qu’il se rebiffe, d’aventure,
On l’y entraîne avec fracas (!)
Afin qu’il dépense en pâture
Sa patience ou son quant-à-soi :

On assomme assez de silence,
A coup de volubilité,
Pour écarter la moindre chance
D’un soupçon de sérénité...

L’indignation que l’on oppose
A ses détracteurs impudents
N’est alors qu’un air qu’on compose
Pour souffler... ou prendre le vent...

Et le spectacle continue,
Nimbé de nouvelle émotion
Quand l’artiste, en grande tenue,
Déchaîne un « volcan » d’ovations !

Ce ne sont que des peccadilles :
Ineptie ou futilité ?
Pourtant, le fard qui les habille
Cache un dard qui pourrait tuer...

Dans ce spectacle fait pour plaire,
Tout est fallacieux, rien n’est vrai...
Comme une histoire à la Molière
Avec des phraseurs pleins d’apprêts.

Sémillant, sévère ou loufoque,
On a l’allant d’un conquérant
Dans les banquets où l’on se moque
De tout le monde et ses agents...

En se donnant bonne figure
Et le faciès des meilleurs jours,
Affichant sa désinvolture
Sans retenue et sans pudeur...

Si l’on rejette l’étiquette
Du décorum, aux falbalas...
C’est pour simplifier la conquête
De son propre vedettariat

Et, des vertus les plus précieuses,
On se réclame ou se prévaut
Quand, tortueuse ou pernicieuse,
Se noue la trame de ses mots...

Agrémentant de vilenies
Quelques salves de quolibets
(Et de gros boulets d’avanies
Mine de rien... sans faire exprès...),

Pince sans rire’... ceux qu’on offense
Sont souvent dupes du procès
Qu’on leur intente en leur absence
Ou sous leurs yeux, mais sans regret !

Et la querelle échevelée,
Où l’on peut crêper des chignons,
Laisse des têtes... ébouriffées
Ou leur rend de l’inspiration...

Dans l’engouement que l’on suscite,
On croit voir l’éclat le plus cher...
Croit-on prouver que l’on existe
Par tant d’humeurs d’humour-amer ?

On se fabrique un personnage
Guindé ou tarabiscoté,
Tonitruant ou bien très sage...
Pour mieux convaincre ou aguicher...

Mais qui est-on, au bout du compte,
Sinon un pitre turbulent,
En persiflant ceux qu’on démonte...
Pour resplendir à leurs dépends :

On est admiré quand on brille :
On séduit... ce n’est pas aimer !
On s’enjolive, se maquille...
Où sont l’amour ou l’amitié ?

Voilà la ruse démasquée :
On joue en acteur averti ;
Par la faiblesse dénigrée,
On se place au-devant d’autrui...

Sont-ils pervers, sont-ils perfides,
Un peu « chantres de Machiavel » ?
Est-ce la rancœur qui les guide,
Ces fiers tartufes’... un peu rebelles ?

Si dans les postes d’imposture,
Qu’assiègent ces fabulateurs,
On peut trouver quelques blessures,
Qu’ils gardent tout au fond du cœur

Et, s’ils tiennent pour singulières
Leur prestance ou leurs prestations,
On comprend parfois que, derrière,
Il reste une triste impression,
Au théâtre des illusions...

Au théâtre des illusions !





 

 

 

 

 

 

 

 

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