Préambule
Je suis toujours frappé par certains comportements qui se veulent
en apparence fraternels, chastes ou délicats et qui, souvent, recouvrent un ego
démesuré... On peut même voir s'exercer, parfois, des discours bien-pensants et
nourris de religiosité qui n'ont d'autre but que de rallier des suffrages et
gagner un lectorat ou un auditoire à sa propre popularité. Ce faisant, on a
toujours quelque raison de se comporter ainsi et je ne juge jamais personne. Je
fais toujours la part des choses : je distingue bien l'acte de l'acteur... et
l'acteur, de l'auteur... qui se trouvent souvent être la même personne lorsque,
dans la vraie vie, cette personne se met elle-même en « scène ou en pages ».
Les raisons sont à rechercher profondément et sont (de différentes natures...)
morales, psychologiques ou voire existentielles quand elles ne sont pas, à
l'extrême, l'expression d'un tourment métaphysique ou spirituel. Le but est la
plupart du temps de se tailler une place bien assise au sein des groupes et,
plus largement, de la société humaine.
« Le théâtre des illusions », il faut bien
sûr le lire entre les lignes, pas forcément d'une seule traite, pour que ni sa
teneur ni sa longueur ne le desservent...
Le théâtre des
illusions
A Jean-Baptiste
Poquelin, dit « Molière »...
Pour épater les
galeries,
Comme un cador
grandiloquent,
Sur la grand-scène
de la vie
On tente un numéro
gagnant...
Au fil de ses
pantalonnades,
On est bravache,
impétueux
Ou prodigue de
rigolades,
Selon l’humeur ou
bien l’enjeu...
On se farde de
facéties,
En jacassant tout
à l’envi,
De hâbleur en
forfanterie,
On est braillard,
on est hardi...
On arbore un « portrait-gigogne
»
Et l’on ressemble
aux arlequins
Qui se dispersent
sans vergogne,
En s’épanchant sur
leurs « prochains ».
On adopte des
camouflages
Bien prisés par
des « loups-voyeurs »
Et, sous de matois
maquillages,
On se croit noble
ou séducteur.
Fanfaron à l’âme
fantasque,
On change de tête
à gogo
Mais, prisonnier du
jeu de masques,
On crée ses effets
en solo...
Guignolerie ou
gaillardise...
Espièglerie,
alacrité,
Paillardise ou
grivoiserie,
Tout est prétexte
à palabrer !
On est jovial et
même hilare...
On est taquin, on
est badin
Et puis, soudain,
sans crier gare,
On devient grave ou
inquiétant :
On sait sauter du
coq à l’âne
Et varier les
intonations
Pour faire vrai,
pour faire crâne
Et secouer les
opinions...
Ostensiblement, on
affecte
Une expression de
componction
Et nul cependant
ne suspecte
L’entourloupe ou
la dérision...
Tel un sacripant
sacrilège,
Sorti de sa « boîte
à pendards »,
On s’étourdit dans
ce manège,
Entre fêtard et
goguenard.
Et l’on poursuit
ses pirouettes,
Sous les bis et
sous les bravos
Qui plébiscitent’...
une vedette
Et son fameux
méli-mélo...
Apostrophant son
auditoire,
Pour séduire et
pour subjuguer,
Depuis les
quelques promontoires,
Que ses faveurs
ont édifiés...
Par l’esbroufe et
la duperie,
On veut forcer l’admiration
Et l’on étouffe d’ironie
Tous les propos d’opposition.
C’est une piètre
comédie ;
Un détestable
traquenard
Qui masque son
hypocrisie
De traits
aguicheurs ou vantards.
C’est de l’humour
à la sauvette
Ou bien du rire à
bon marché
Qui voudrait nous
conter fleurette
Dans un cynisme
déguisé...
Cortège d’intrigues
sous cape...
Ce qu’on raconte
et dont on rit
Tient, sous un
débit qui décape,
Une assemblée à sa
merci...
Et chacun subit la
réplique
De mots mêlés de
boniments ;
Le triomphe des
cosmétiques,
S’il ne s’y
soustrait pas à temps !
Racontars qu’on
monte en épingle
Et tintamarre et
baragouins...
Ça fuse, ça saute
et ça cingle
Aux oreilles de
ses voisins.
On joue les
Pierrots un peu louches ;
Les émules de
Cyrano
Et les boutades
qui font mouche
Agrémentent le
scénario...
Mais qui sait que
la mascarade,
Dont on se veut
roi ou bouffon,
Peut éclater en
algarades
Dès que retombe l’illusion
?
Sait-on qu’en
cachant, sous le masque,
D’autres masques’...
et des pieds-de-nez
On n’est pas sauvé
de ses frasques,
Ni de perdre une
identité ?
Sous un semblant
de mignardise,
On peut être ardu
ou bourru
Et se commettre
sans franchise,
A la façon d’un m’as-tu-vu
!
Grisé de clameurs
ou d’éloges,
On prend des
brassées de public
Et l’on s’enroule
dans des toges
Tressées des
lauriers les plus chics...
On affiche sa
pétulance
Et revêt les plus
beaux atours ;
On fulmine d’exubérance,
Avec hauteur et
sans détour...
Ça se gausse et ça glousse,
Ça glapit et ça rit...
On se tasse, on se pousse...
Pour placer son récit...
Fantoche, acerbe
ou délétère,
Pour cancaner et
pasticher,
On vocifère, on
déblatère
Pour convaincre ou
pour enjôler...
Ici sagace et là,
salace...
Narquois, pour
mieux désarçonner...
Ici ça passe et
là, ça casse :
On se régale d’agacer
!
S’il faut mêler de
polémique
Ses critiques’...
au ton disgracieux,
On défraie assez
la chronique...
Pour captiver plus
d’un curieux :
Insolent ou,
voire, insolite,
On sait provoquer
l’incident ;
Un tohu-bohu sans
limite,
Dont on nourrit le
mouvement.
Au diable qu’on
soit rustre ou cuistre
Et tant que ça ne
se voit pas,
On exagère son
registre
Cahin-caha,
couci-couça...
Qu’on soit prolixe
ou qu’on pérore,
On a le verbe beau
ou fort
Et, qu’importe, on
s’emporte encore
Lorsque se taire’...
paraît un tort !
On se voudrait
leste ou burlesque,
A force d’œillades’...
et d’esprit ;
On ne craint pas d’être
grotesque,
Si le triomphe est
à ce prix :
On est imbu de ses
prouesses,
Hurluberlu ou
malappris ;
On rend la monnaie
de sa pièce
A qui n’y aurait
pas souscrit !
Qu’on soit veule
ou pusillanime,
On se travestit en
héros
Devant un parterre
unanime
Et l’imposture est
sans écho :
Tel un dramaturge en
goguette,
On se concocte un
rôle à soi...
On est le « roi-de-l’opérette
»,
Usant du charme de
sa voix...
On n’a pas peur
des simagrées
Ni d’un spectacle
saugrenu
Que l’on offre à
des bouches bées,
Yeux ébaubis,
crânes férus...
On se tient le cœur
à la farce
Et la recette est
un succès...
Il suffit de
phrases bien grasses
Et, pour dindons,
de bons sujets...
Ce n’est pas de la
gourmandise !
On est friand de
compliments,
Face à quelques
tablées conquises
Par des ragots peu
ragoûtants :
Qui se repaît de
balivernes
Et de sornettes,
tant et plus,
A pourtant l’âme
bien en berne
De quelques rêves
révolus !
On se rassasie’...
d’anecdotes
Et fait un festin
de bons mots
Dans une foire à
la parlote ;
Repas sans répit
ni repos...
C’est avec des
effets de manche
Que, souvent, l’on
fait sensation,
Provoquant nombre
d’avalanches
Pour accaparer l’attention...
Et, pour preuve de
truculence,
On ne tarit pas d’adjectifs
Mais la source des
redondances
Crée des fleuves
rébarbatifs...
On voudrait
briller comme un phare...
Eloquence ou
érudition ?
Faire passer pour
des ignares...
Les gens sans
illumination !
Pour limite et
pour seule bride,
Quelle autre peur
a-t-on vraiment :
Paraître vide ou
insipide,
Indifférent ou
transparent ?
Mais l’on s’arroge
la parole
Que l’on encombre
sans remords
De broutilles’...
et de fariboles,
Pourvu que l’on
parle d’abord.
Et, campé comme un
Scaramouche,
On peut grimper
sur son ego
Pour attirer dans
l’escarmouche
Une cour qui vous
tient bien haut...
On roucoule et l’on
prend ses aises,
Pendant qu’augmente
la pression
Sur les témoins de
ses fadaises
Qu’on pourrait
changer en pigeons...
On snobe, on
harangue et l’on toise,
Présomptueux ou
somptueux
Et, dans l’arène
où l’on pavoise,
On prend son cas
très au sérieux...
Qu’on se pavane ou
qu’on parade
Et, quel que soit
l’accoutrement,
Champion de ses
rodomontades,
On est cabot et
cependant,
On sait qu’on fait
vibrer les planches
Et la liesse des
spectateurs
Par les rires que
l’on déclenche
Et les regards
approbateurs...
Trublion, maître
de la scène,
Ce qu’on veut c’est
faire impression,
Que l’on soit
tragique ou obscène,
Au théâtre des
illusions.
Qu’importe l’endroit
où l’on dresse
Le buste ou qu’on
pose le pied,
On est le pilier
de la pièce...
Et, pour rôle, on
veut le premier !
Par l’intrigue et
par l’artifice,
On s’exhibe sur
ces tréteaux,
Dans l’euphorie’...
souvent factice
D’une profusion de
bons mots...
On est disert et l’on
devise
A propos des
couleurs du temps ;
On glose et, telle
est sa devise :
Parler de tout et
tout le temps...
On colporte
quelques mensonges,
D’invraisemblables
canulars ;
On affabule tant
qu’on songe
Qu’on et crédible
quelque part...
On envoûte ou on
embobine
Et, quand le film
a bien tourné,
On se cale et on
rembobine
Jusqu’au prochain
jour de ciné.
Dans les rôles de
bienveillance,
Politesse ou
urbanité,
On se targue de
bienséance
Pour conquérir et
pour flatter :
S’il le faut,
parfois, on flagorne,
On « brosse dans
le sens du poil » ;
On en est
obséquieux, sans borne,
Faisant l’ange où
est l’animal...
Et pourtant, quand
les feux s’estompent,
Quand le spectacle
est terminé,
On brocarde autant
que l’on trompe
Ceux que l’on
avait encensés...
Par l’apparat et l’apparence,
On se répand ou se
dissout,
Selon l’heure ou
la convenance,
Afin que l’on
plaise avant tout...
Et qu’on se drape
de superbe
Avec aplomb et
dignité,
Ou d’un voile
prude ou acerbe,
Ce n’est qu’un
rideau pour gonfler.
Affublé d’une aube
sans tâche,
On joue même aux
Saints-Innocents ;
On a la boutade
potache,
Simulant, pour
paraître franc...
Puis, soudain, on
force les rôles :
Un peu godiche, un
rien gouailleur...
Déluré, si ça fait
plus drôle...
Et grand seigneur,
pour les honneurs...
On ose la
magnificence,
En montant sur ses
grands chevaux.
Pour atteindre
jusqu’à l’outrance,
On se produit au
grand galop...
On ne craint ni la
turpitude
Ni les sarcasmes
déplacés,
Pourvu qu’avec de
l’altitude,
On gagne assez d’autorité
:
Si l’on profère
une invective,
C’est qu’on
voudrait effaroucher
Ceux qui restent
sur le qui-vive
Ou qu’on n’aurait
pas fascinés...
Et,
boute-en-train, on s’égosille ;
On prend des airs
bien guillerets,
De gai-luron, de
joyeux drille,
Qui sont moins
vrais qu’il n’y paraît :
On chicane avec
des arcanes,
D’argutie... en
faux argument ;
On « alambique »
ou on ricane
Devant la
suspicion des gens ;
On s’empêtre au
fil de ses phrases
Et d’un charabia
bien à soi
Que l’on dévide
avec emphase
En un parfait
galimatias...
Supercherie,
métamorphose ?
On « adultère »,
on travestit :
La vérité semble
morose
Au regard de qui
la trahit !
On se taille un
joli charisme
Pour défiler et
minauder...
Farfelu mais sans
fanatisme :
Juste assez, pour
intéresser...
Et l’on se coupe
de soi-même,
En croyant faire
des envieux
Pris au piège d’un
stratagème
Où l’on se grime à
qui mieux-mieux.
Mais qui veut
croire au subterfuge,
A moins qu’il ne s’y
prête un peu,
Puisque ne sert à
qui le gruge
Que celui qui en
fait le jeu ?
On redoute les
calomnies
Alors on en prend
les devants
En se parant de
parodies
Pour singer le
moindre passant :
A l’assaut des
feux de la rampe
On embraserait le
parquet
De la scène où l’on
veut que rampent
Les victimes de
son toupet...
Et l’on fomente un
beau grabuge
Pour provoquer les
invités ;
On invente comme
un déluge
Pour pallier aux
contrariétés.
On étale, on étonne...
Pour la forme et sans frein...
On détaille, on détonne :
Dans le fond, ça fait fin !
Les revers de
diatribe amère
Qu’on distribue’...
sans sourciller,
Sont des piques
qui exaspèrent
Dans le dialogue
exacerbé...
Pour obtenir des
préséances
Et la suprématie
aussi,
On évince la
concurrence
Par jalousie ou
par défi...
Et, de galère en
galéjade,
Au fil des
élucubrations,
On assène ses
estocades
De reproche ou de
dérision :
Sur le quidam on
se « défausse »
Sans âme, sans
amour, cent fois,
Comme un faussaire
et dans la fosse
D’un théâtre sans
loi, ni foi...
Et, quelque bougre
qu’on échaude,
En faisant fi de
son dépit,
Il est prétexte...
à gorges chaudes
A son grand dam, s’il
en frémit...
Qu’il se rebiffe,
d’aventure,
On l’y entraîne
avec fracas (!)
Afin qu’il dépense
en pâture
Sa patience ou son
quant-à-soi :
On assomme assez
de silence,
A coup de
volubilité,
Pour écarter la
moindre chance
D’un soupçon de
sérénité...
L’indignation que
l’on oppose
A ses détracteurs
impudents
N’est alors qu’un
air qu’on compose
Pour souffler...
ou prendre le vent...
Et le spectacle
continue,
Nimbé de nouvelle
émotion
Quand l’artiste,
en grande tenue,
Déchaîne un « volcan
» d’ovations !
Ce ne sont que des
peccadilles :
Ineptie ou
futilité ?
Pourtant, le fard
qui les habille
Cache un dard qui
pourrait tuer...
Dans ce spectacle
fait pour plaire,
Tout est
fallacieux, rien n’est vrai...
Comme une histoire
à la Molière
Avec des phraseurs
pleins d’apprêts.
Sémillant, sévère
ou loufoque,
On a l’allant d’un
conquérant
Dans les banquets
où l’on se moque
De tout le monde
et ses agents...
En se donnant
bonne figure
Et le faciès des
meilleurs jours,
Affichant sa
désinvolture
Sans retenue et
sans pudeur...
Si l’on rejette l’étiquette
Du décorum, aux
falbalas...
C’est pour
simplifier la conquête
De son propre
vedettariat
Et, des vertus les
plus précieuses,
On se réclame ou
se prévaut
Quand, tortueuse
ou pernicieuse,
Se noue la trame
de ses mots...
Agrémentant de
vilenies
Quelques salves de
quolibets
(Et de gros
boulets d’avanies
Mine de rien...
sans faire exprès...),
Pince sans rire’...
ceux qu’on offense
Sont souvent dupes
du procès
Qu’on leur intente
en leur absence
Ou sous leurs
yeux, mais sans regret !
Et la querelle
échevelée,
Où l’on peut
crêper des chignons,
Laisse des têtes’...
ébouriffées
Ou leur rend de l’inspiration...
Dans l’engouement
que l’on suscite,
On croit voir l’éclat
le plus cher...
Croit-on prouver
que l’on existe
Par tant d’humeurs
d’humour-amer ?
On se fabrique un
personnage
Guindé ou
tarabiscoté,
Tonitruant ou bien
très sage...
Pour mieux
convaincre ou aguicher...
Mais qui est-on,
au bout du compte,
Sinon un pitre
turbulent,
En persiflant ceux
qu’on démonte...
Pour resplendir à
leurs dépends :
On est admiré
quand on brille :
On séduit... ce n’est
pas aimer !
On s’enjolive, se
maquille...
Où sont l’amour ou
l’amitié ?
Voilà la ruse
démasquée :
On joue en acteur
averti ;
Par la faiblesse
dénigrée,
On se place au-devant
d’autrui...
Sont-ils pervers,
sont-ils perfides,
Un peu « chantres
de Machiavel » ?
Est-ce la rancœur
qui les guide,
Ces fiers tartufes’...
un peu rebelles ?
Si dans les postes
d’imposture,
Qu’assiègent ces
fabulateurs,
On peut trouver
quelques blessures,
Qu’ils gardent
tout au fond du cœur
Et, s’ils tiennent
pour singulières
Leur prestance ou
leurs prestations,
On comprend
parfois que, derrière,
Il reste une
triste impression,
Au théâtre des
illusions...
Au théâtre des
illusions !
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